dimanche 8 juin 2014

Trois petits torchons.

Aujourd'hui, billet d'humeur.



J'ai eu envie de répondre à trois questions qui, je crois, intéressent plus ou moins tout le monde, et en plus me tiennent à cœur. Mais en mode Café du Commerce, hein, c'est galère de faire des recherches.



J'ai entendu dire que des nanorobots tueurs étaient mal disposés à l'égard des humains, je vais mourir nanodéchiqueté ?

La nanotechnologie est en plein essor. De nombreux domaines se sont emparés des propriétés fascinantes dont regorge l'infiniment petit. Des assemblages d'atomes, très bien ordonnés ou empilés à la sauvette, se trouvent déjà partout dans notre quotidien. Mais le plus développé de tous, sur le sujet, c'est encore le vocabulaire.
Enfin, développé : c'est plein de mots avec "nano" ajouté devant.

* Nanomètre : celui-ci n'est pas inventé, je triche avec mon propre glossaire. Pour vous donner une idée, un nanomètre est un millionième de millimètre, un milliardième de mètre. C'est petit. L'ordre de grandeur de la taille d'un atome, c'est le dizième de milliardième de mètre. On est vraiment dans le petit.

* Nanoobjet : un objet supposément fonctionnel de moins de cent nanomètres de long. La limite supérieure est légale, en réalité un objet de cent un nanomètres de long n'a pas soudain d'autres propriétés. En laboratoire, on fabrique des choses très rigolotes comme des molécules en forme d'anneaux imbriquées dans d'autres molécules en forme d'anneaux, entraînées dans un mouvement rotatif ; des molécules en forme d'anneaux voyageant d'un bout à l'autre de molécules en forme de tiges ; toutes sortes de choses amusantes qui font plus ou moins vite apparaître le mot "moteur moléculaire" dans la discussion. Le problème, c'est qu'on n'a pas encore trouvé le moyen de transférer l'énergie de ce "moteur" hors du système : les molécules ont beau tourner, elles ne font rien tourner d'autre.

* Nanomédicament : 1] un médicament normal, mais en plus petit. Il est censé être plus efficace sous cette forme rétrécie, ce qui fait des économies pour tout le monde. 2] des nanoparticules dangereuses, mais introduites exprès dans l'organisme : pour tuer un cancer, par exemple.

* Nanoparticule : 1] nom générique pour ce qui est nano et particulaire. 2] particules de taille nanométriques obtenues de façon accidentelles, par exemple en utilisant un laser puissant sur des particules de taille micrométrique, comme le fait, je ne sais pas, une imprimante 3D. Il faudra que je parle des imprimantes 3D dans un article un jour.

* Nanomatériau : un matériau pensé à l'échelle nanométrique, et pas bêtement usiné de manière macrométrique comme un verre, un béton ou un acier. L'exemple phare, c'est le nanotube de carbone.

* Nanotube : comme un tube, mais en plus petit.

* Nanodiamant : nanomatériau qui vend du rêve.

* Nanoargent : nanoparticule qui essaye de vendre du rêve.

* Nanorobot : nanoobjet suffisamment avancé pour être utile et programmable. C'est pas gagné.

* Nanorobot tueur : nanorobot qui aurait trouvé une raison de s'en prendre à l'humanité ou aurait été programmé par erreur dans ce sens. C'est pas gagné non plus.

Pourquoi diable parle-t-on déjà de nanorobots tueurs alors que les simples nanoparticules sont sources de cancer ? C'est pourtant un sujet tendance, le cancer. C'est tellement tendance que les industriels ont fait machine arrière sur la communication autour des nanos : s'il y en a, vous aurez tendance à ne pas le savoir.
Tenez, vous saviez que le dioxyde de titane des crèmes solaires, qui laissait des traces blanches déplaisantes sur la peau, est maintenant sous forme nanométrique, qui ne fait pas de traces blanches ?
Personnellement je me pose la question de la protection qu'il offre à présent, parce qu'il me semblait bien que sa couleur aidait à protéger des rayons du soleil, m'enfin.
La question se pose aussi de savoir pourquoi tant de nano-argent est présent dans les articles de fitness, comme antibactérien supposé.
Sportifs, sportives, j'ose espérer qu'il s'agit d'un cas où le marketing a essayé de vous créer un besoin inexistant ; mais si vous ne supportez pas l'odeur de votre propre sueur, pourquoi vous faites-vous suer ?



J'ai entendu dire que les centrales nucléaires étaient dangereuses, je vais mourir radioactif ?

Les centrales nucléaires, dangereuses ? Qui a bien pu vous dire une chose pareille ? Sûrement un anti-patriote de la pire espèce.
La fission nucléaire de l'uranium, pratiquée dans les centrales nucléaires de par le monde, est une technologie désespérante à plus d'un titre. Dans sa conception, déjà.

On libère les forces phénoménales de l'atome pour...

Connaisseur qui passerait par ici, je tiens à te dire que la simplification de ce schéma n'est pas destinée à tromper le profane. Franchement, c'est tellement plus compliqué ?

Chauffer de l'eau. Créer de la putain de vapeur pour faire tourner une turbine à la con. Non, ce n'est pas "élégant parce que tellement simple, tihihi". Un moteur essence ou diesel est un monument de technologie à côté d'un truc pareil.

Les centrales nucléaires ont plusieurs façons de mal tourner. Les deux principales sont l'emballement de la réaction de fission (l'uranium libère toute son énergie nucléaire d'un coup et pas petit à petit comme ça nous arrange) et le rejet accidentel de matériel radioactif. Astuce : lorsque la réaction de fission s'emballe, c'est très très dur de ne pas rejeter du matériel radioactif ; par contre le rejet de matériel radioactif n'implique pas du tout l'emballement de la réaction de fission.
C'est Tchernobyl contre Fukushima : dans le premier, on a un emballement du réacteur qui conduit à la destruction de la centrale et au rejet d'un nuage radioactif (celui qui n'est pas passé en France), dans le second, c'est un tremblement de terre qui pète le circuit primaire et permet à l'eau radioactive de partir vivre sa vie. Avec un éventuel emballement du réacteur plus tard, parce que sans son circuit primaire, il chauffe, le petit.

*rires préenregistrés*

Même en fonctionnement normal, les centrales nucléaires créent des déchets radioactifs. Deux catégories : le matériel utilisé pour travailler dans la centrale, et les espèces chimiques créées par l'uranium à l'issue de sa réaction de fission.
Le premier cas est, d'après l'un de mes professeurs, contournable. Mais son explication est un peu perplexifiante, alors je me la mets derrière l'oreille.
Le second cas est plus amusant. Des espèces chimiques radioactives ? Mais, dites donc, on ne considérait pas l'uranium comme une matière première de par sa radioactivité ? Est-ce qu'on ne peut pas prendre les déchets, les remettre dans une centrale, et en avant Guingamp ?
Oui, on peut. Mais c'est compliqué, alors on ne le fait pas. Ah bon, si c'est compliqué alors ! On ne peut quand même pas demander à des ingénieurs de réfléchir et à des industriels de se faire des sous à l'aide d'une matière première dont un collègue cherche à se débarrasser. Après tout, les réserves d'uranium peuvent encore couvrir les besoins énergétiques pendant... Quatre-vingt ans ! C'est vachement long, quatre-vingt ans ! On sera tous morts, dans quatre-vingt ans ! Pourquoi s'ennuyer ?

"Non mais c'est vrai, on est tellement bête et critique, parfois. Note que je suis bien contente d'être assise."

La dernière chose qui m'ennuie est un argument classique de nucléosatisfait. "Il n'y a aucune raison de s'inquiéter de la radioactivité, la radioactivité est un phénomène naturel qui s'observe dans la nature naturellement". Le cyanure aussi. Oh et puis tu sais quoi ? Je suis totalement convaincue : je vais construire une usine à côté de chez toi qui émettra de façon aléatoire un nuage mortel de cyanure d'hydrogène sur ta maison. Tu n'as rien à y redire, pas vrai ?
La radioactivité n'est pas la seule chose qui soit capable de casser votre double-brin d'ADN. Mais casser votre double-brin d'ADN n'est de toute façon jamais une bonne idée. Votre organisme possède des ressources pour réparer les dégâts, toutefois ces réparateurs se trompent. Résultat, pour vous, des risques accrus de cancer, et, si ce sont vos gamètes qui sont touchées, des ennuis imprévisibles pour vos descendants.

Le plus bel héritage.

Ce qui n’est pas grave, à la limite. Tant que cette technologie à la con est maîtrisée.

(Elle ne l'est pas.)



J'ai entendu dire que les organismes génétiquement modifiés étaient mauvais pour la santé, je vais mourir empoisonné ?

Le premier danger pointé, concernant les OGM, n'est pas pour la santé. On parle plutôt de celui de l'industrialisation du vivant.
Je m'explique : les semenciers (producteurs de graines) se considèrent dans l'obligation morale de ne pas propager des espèces dont on ignore la dangerosité. Par conséquent, les graines vendues sont stériles, elles ne donnent qu'une génération de plantes, et les graines issues de ces plantes ne peuvent en aucun cas redonner une plante. Les cultivateurs doivent donc racheter des semences au semencier tous les ans. C'est pratique, une obligation morale qui vous fait gagner de l'argent, pas vrai ? Une résistance de ce qu'on pourrait appeler la communauté paysanne vient de ce que traditionnellement, c'est le cultivateur lui-même qui s'occupe de mettre de côté une partie de sa récolte. Ca fait partie de l'esprit : j'épargne, j'obtiens, je répartis. Si le champ n'est qu'une transition entre le semencier et le grossiste en céréales, le cultivateur n'est plus un producteur, c'est une espèce de transformateur. Philosophiquement, ça change pas mal de choses !
L'existence du semencier enlève aussi des mains du cultivateur sa tâche traditionnelle de sélection des plantes qui produisent le plus/résistent le mieux aux maladies et ravageurs/écartent naturellement les plantes concurrentes. Au lieu de mettre au point la goulaillue, on achète la tomato-184@. C'est un peu triste. Et c'est toléré parce qu'on considère la mondialisation comme trop rapide pour aller avec la supposée lenteur de cette tâche traditionnelle : "on ne peut pas se permettre de risquer une pénurie, il faut standardiser les productions".

"Les clients disent qu'on peut se garder nos semences et qu'ils vont planter des variétés anciennes, chef !"
"QUOI ? Mais qu'est-ce que c'est que cette bande de communistes ? Ils nous faut une loi pour empêcher les gens de planter ce qu'ils veulent, nom de nom."

Revenons sur les plantes concurrentes qui gâchent la belle harmonie d'un champ : appelons-les des mauvaises herbes. Il était une fois un semencier célèbre. Il possédait un herbicide magique qui tuait toute mauvaise herbe. Problème, ce produit tuait aussi la plante que l'on souhaitait produire. Le semencier inventa donc une semence qui résistait à son herbicide magique, et tout fut parfait. Sauf que, oups ! Les mauvaises herbes avaient la capacité d'échanger du matériel génétique avec les autres plantes : certaines furent en position de récupérer à leur profit le gène de la résistance à l'herbicide magique. Et comme l'herbicide magique était utilisé partout dans le royaume, les mauvaises herbes résistantes prendraient la place des mauvaises herbes mortes !
Heureusement, un chevalier... euh, un magicien... une fée... un roi... Ah non, personne ne faisait rien. Notez qu'il n'y avait rien à faire. Du coup, le semencier se sentit un peu bête d'avoir mis autant d'argent en recherche et développement pour faire match nul contre les mauvaises herbes.
Que fera le semencier ? Arrêtera-t-il de vendre la semence protégée, voire l'herbicide magique, cherchant des méthodes alternatives pour se débarrasser des mauvaises herbes ? Ou bien mettra-t-il encore plus d'argent en recherche et développement pour trouver un herbicide encore plus magique pour tuer les mauvaises herbes résistantes à l'herbicide magique ? Oh, devinez.

Un double sens se cache dans cette image, ho ho ho ?

Mais tout cela, vous vous en fichez sans doute : que les cultivateurs passent sous la coupe des semenciers ou que le vivant se modifie, ça ne vous fait ni chaud ni froid. Nom d'une pipe, est-ce que les OGM donnent le cancer, oui ou non ?
Beaucoup, beaucoup de choses donnent le cancer. La viande trop cuite est l'exemple le plus connu. Et pourtant, la plupart des gens mangent sans s'en soucier, parce que nos aliments sont devenus traditionnels à une époque où le mot "cancérogène" n'existait pas.
Qu'une modification génétique sur une plante jusque là non-cancérogène la rende cancérogène ne serait pas étonnant du tout. Une étude a été faite sur le sujet, bourrant des rats de laboratoire de maïs transgénique pour voir s'ils exploseraient. Elle a été critiquée dans tous les sens, mais une chose est certaine : toute contestable que soit sa méthodologie, ses résultats n'ont rien d'invraisemblable.



La morale de cet article, c'est que le monde est un endroit très dangereux.

La science ? Ben, oui, et les plantes vénéneuses, et les prédateurs, et la foudre, et la noyade... On ne peut pas réclamer que nos avancées servent à nous préserver des dangers menaçant notre espèce, noooon ! On les remplace par d'autres, voilà tout. Il n'y a pas de raison de s'indigner contre le pari général "dix contre un que ça ne tue pas plus de 20% de la population", c'est là le sens du progrès.

Toute science n'est vouée qu'à servir de support à la technologie, la philosophie peut être soigneusement rangée dans le placard à vieilleries, peu importent les conditions de vie dans les bidonvilles tant que j'ai contre mon coeur cet objet parallélépipédique contenant l'équivalent d'un million de bibliothèques et d'un milliard de pigeons voyageurs, on est allé sur la Lune avec mille fois plus archaïque mais on n'y retournera pas parce que le réseau 4G y est pourri ; pire encore ceux qui se plaignent utilisent la technologie prétendument ennemie.

Bienvenue sur Terre, mes chers, en l'an de grâce deux mille quatorze.

La semaine prochaine, je ferai plus gai.

@now@n

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