lundi 21 avril 2014

Chimie au bout du crayon.

S'il faut parler de ce qu'on aime...

 J'aime dessiner des molécules.
 Vraiment.
 Passionnément.
 Extraordinairement.

 J'ai évoqué dans un précédent article l'idée que "grouper" les particules élémentaires en objets définis d'eux-mêmes - renoncer à considérer un ensemble de particules - était une astuce de réflexion et de dessin pour ne pas avoir à remonter au fondamental pour traiter de l'échelon supérieur de complexité.
 En gros, si chaque fois qu'on devait dessiner la galaxie il fallait recourir à une sorte de style pointilliste représentant tous les quarks, personne ne le ferait.


Et ce serait bien dommage, parce que c'est une jolie pépée. (M81 pour vous servir : Source.)

 Mais, ce faisant, je me mens. Si je devais dessiner tout ce qui existe avec des molécules, je le ferais, et avec un plaisir non-dissimulé. Pas seulement parce que je suis masochiste.

 Une molécule, c'est un ensemble d'atomes en relation. D'où deux questions :
  Comment je représente les atomes ?
  Comment je représente les relations ?

 J'ai deux façons préférées et pas du tout destinées aux mêmes usages de répondre à ces questions.



 A la rencontre de la formule de Lewis

 M. Gilbert Lewis est un scientifique, chimiste et physicien, 'achement balaise. Plagions Wikipédia : il est né en 1875. Il est mort en 1946, à l'âge de 70 ans. Pourquoi 70 et pas 71 ? Parce qu'il est mort avant son anniversaire de cette année-là. Tout est logique. Ne vous imaginez pas m'avoir comme ça.
Lewis a fait beaucoup de choses de sa vie mais je n'ai pas l'étoffe d'une biographe.

 Aux deux problèmes cités plus haut, Lewis rétorque :
  Avec des lettres.
  Avec des bâtons.
 Un exemple suit.

 Ouvrez votre tableau périodique (voici, je crois, la source du mien) et prenez-y un atome. Un carbone, par exemple. Comme j'ai la flemme, j'envoie un bonhomme en bâtons bosser à ma place.

C'est galère les bâtons, je sens que je vais m'inventer une raison de ne pas recommencer.

 Cette lettre C, nous allons lui conférer le pouvoir d'être un atome de carbone.

Un jour sera établie la liste des choses qui ne sont pas douées de parole sur ce blog.

 Excellente remarque, chère lettre C. Mais c'est tout le principe d'une convention : on sait que ce n'est pas la réalité, mais osef tgcm.

L'élément Tg manque à la beauté du monde.

 On te flanque de tes électrons les plus extérieurs, tu sais, ceux qui énervent le propriétaire de tes appartements. Et on les représente par des gros points pour des raisons de simplicité.

Je crois que nous venons de franchir une nouvelle limite dans l'anthropomorphisme.

 A présent, tu éprouves une frustration, un manque, un besoin, une soif indésassoiffable, une certitude cosmique : il te manque quatre électrons.

Ni du québécois, du belge, du suisse, du créole ou du cajun, amha.

 Nous y pourvoirons. A cet effet, nous allons envoyer notre bonhomme bâton chercher des hydrogènes dans le tableau périodique.

... Mais tu as trouvé le courage d'y mettre un post-it. Bravo. (Source.)

 Bon. Résumons un brin. Quatre atomes d'hydrogènes apparaissent !

Brave petit.

 Nous avons représenté les atomes en présence, nous possédons même une information sur les électrons à disposition pour une mise en commun ; à présent, nous allons quitter le domaine des études scientifiques pour celui de la deuxième section de maternelle.
 Nous allons relier les points.

S'ils le disent eux-mêmes, comment en douter ?

 Et voilà une magnifique représentation de Lewis.
 Lorsque plusieurs électrons sont mis à contribution par les mêmes atomes, pas de panique : on relie encore et toujours les points.

Damned, j'ai été repérée par mes propres schémas !

 Ces traits obliques qui chapeautent les atomes d'oxygène ? Eh bien, à son étage problématique des appartements résident six locataires, et en manquent deux. Ces choses là sont des appartements pleins, un groupe de deux électrons qui se suffisent doucement : dans le jargon, un "doublet non-liant" ou une "paire non-liante".

 La représentation de Lewis peut recevoir des add-ons comme un vulgaire Firefox.
 Notamment le "je remplace tous les atomes de carbone par une ligne brisée, tout le monde comprend", le "si je mets rien c'est un hydrogène, OK ?" le "oh c'est bon, je sais qu'ils sont là les doublets non-liants, je vais pas encore les redessiner", ou encore le "eh, si je dessine des espèces de triangles au lieu des traits, je peux pas obtenir une information sur la troisième dimension de ma molécule ?" ; une fois bien customisée, elle devient représentation topologique.

 Ce qui permet de dessiner des choses assez compliquées.

Par souci d'honnêteté intellectuelle, je dois vous informer que celui-là n'est pas maison.


 A la rencontre d'une 3D qu'on ne supporterait plus en jeux vidéo.

 Maintenant que j'ai mon quota de schémas débiles, je peux passer très vite sur le deuxième point - qui devrait pourtant, si j'étais un peu maline, être à peu près l'égal du premier.

 Reprenant nos deux questions du début, je vais annoncer tout de suite la couleur :
  Comment je représente les atomes ?
  Avec des baballes.
  Comment je représente les relations ?
  Avec des intersections de baballes.

 Plus sérieusement, l'idée qu'un atome peut être une balle vient du fait qu'il est entourée d'une nuée d'électrons qui détestent les autres électrons. De là, si ces nuées n'ont pas vocation à s'interpénétrer hors des cas de liaison chimique, pourquoi ne pas considérer l'endroit où elles s'estompent comme un bord solide ?

 Voici, selon cette représentation, le méthane, le formaldéhyde, l'acétylène et le dioxyde de carbone (on ne change pas une équipe qui perd, des fois qu'elle perdrait encore plus si on en changeait).

Je ne vous les présente plus, vous les connaissez...

 Ces représentations paraissent moins facile à lire. Elles le sont. Il ne s'agit même plus de schémas. Seule la couleur permet de distinguer les différents atomes ; la nature des liaisons se devine à peine ; on envisage mal de raisonner sur des réactions à partir de ces molécules.

 Mais, comme je l'ai précisé au début, ces deux conventions n'ont pas du tout le même usage. Déjà, je ne m'amuserais à ne pas confier la représentation en bouboules à un ordinateur (cf Discovery Studio, un logiciel qu'il est pratique pour ce genre de tâches !) que pour des molécules très petites.

Genre pas celle-là. Source.

 Ah, quelle horreur. Mais qu'est-ce donc ?
 Je vais vous le dire, moi : une protéine. Mieux encore, un récepteur d'androgènes. C'est-à-dire une structure biochimique - présente souvent sur la membrane des cellules - qui se charge de repérer dans l'organisme des molécules plus petites qu'elles, telles que la testostérone dans le cas présent, et d'agir en conséquence.
 Ce repérage se fait par contact "physique" de l'un et de l'autre, sur une zone particulière de la protéine.
Ce contact lui-même étant sujet aux lois de l'évidence, à savoir : "si y a pas la place, y a pas la place".
La théorie qui a l'air de marcher le mieux, c'est que la simple présence de la petite molécule sur la grosse modifie la forme de cette protéine ; elle se "pousse" pour s'adapter à la présence de l'autre. Résultat, les autres structures avec lesquelles elle est en relation connaissent à leur tour des changements qui peuvent provoquer une "réaction" à l'échelle de la cellule elle-même, et de là, à l'échelle de l'individu à qui appartiennent la cellule, le récepteur et la molécule.
 Fiou.

Pardon pour la piètre pertinence mais l'explication manquait d'un schéma débile.

 Et donc, pour revenir à mon sujet, cette représentation permet de constater de visu, sur l'ordinateur, si "y a la place" pour la petite molécule de s'intégrer ou pas. L'intérêt ? Pas énorme si vous partez du principe que nous savons déjà que la molécule est reconnue par le récepteur ; déjà plus important si vous vous trouvez dans un cas où :
  - Vous cherchez justement à savoir si le récepteur peut reconnaître la molécule.
  - Selon les événements arrivés sur les autres structures biochimiques avec lesquelles il se trouve en relations, le récepteur peut se trouver dans plusieurs configurations spatiales différentes qui l'autorisent ou lui interdisent la reconnaissance de la molécule. Et vous ne savez pas laquelle.

  Beaucoup de chimistes spécialisés dans la chimie sur ordinateur ne travaillent toutefois pas avec cette unique représentation. Les protéines sont plus souvent montrées sous forme de rubans et les molécules de taille réduite sous forme de balles reliées par des bâtons, voire de bâtons tous seuls.

La même en différent. Plus lisible, n'est-ce pas ? Je viendrai dessus une autre fois peut-être.

 Il s'agit d'un avis personnel de ma part, de considérer que la représentation bouboule est plus mignonne et, bien que moins lisible, plus représentative de l'encombrement spatiale effectif d'une molécule.



 Encore un bel article où j'ai raconté n'importe quoi. J'essaierai de ne pas m'y mettre à la dernière minute la semaine prochaine.

 Bien à vous,

 @now@n

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire