samedi 24 mai 2014

Fait amusant : avant de déraper, ce blog devait surtout parler d'écriture.

Il est temps de se rattraper !


 Bonjour à vous, mes très chers ! Si vous lisez ceci, c'est que je suis encore vivante après mon week-end passé à Geekopolis. Je m'y suis probablement amusée. Je n'en sais encore rien, puisque j'écris cet article à l'avance pour ne pas être à la bourre ce dimanche (nota : nous sommes le vendredi d'après, je suis donc très en retard).

 Une tête est pleine d'étincelles miniatures. Elles y sont, un temps, prisonnières, sans le moindre espoir d'en sortir. Pourquoi le feraient-elles, de toute façon ? Elles forment les instructions étranges de la motricité et de l'apprentissage ; les messagers subtils de l'univers vers le monde intérieur ; les pensées, quoi, merde, ça va la poésie.

 Puis l'on apprend à parler. Et on ne s'étonne pas assez de la magie de cette coutume ; si les animaux possèdent leur éventail de cris d'alerte, transmettant à leurs congénères, par le son, ce qu'eux ont vu de dangereux, ils n'ont pas la richesse lexicale et grammaticale du fatras que constituent nos langues. La parole est le premier sortilège dont dispose l'humain pour pépier ses courants électriques à son prochain.

 Puis l'on apprend à écrire. Et là, ça devient grave. La pensée sur ce support furtif, durable, gagne le pouvoir de propagation d'un virus. Les Sumériens nous en laissé en témoignage quelques chants, dont pas mal vantent la beauté de l'entrejambe de la déesse Inanna. Ils vivaient il y a des milliers d'années. Les concevez-vous ? Ou, comme moi, vous écrasent-elles ? (Les années, pas les jambes de la déesse Inanna.)

Allégorie.


 Enfin bon, c'est un blog de sciences "dures", ici, hein, ho, eh. Ce dont je voulais vous parler, c'est du côté pas évident de l'acte même d'écrire, d'un point de vue technique. Il faut un support et un moyen de le modifier de telle façon à ce qu'un autre puisse lire. Passons-les en vue, voulez-vous ?


La pierre

 On utilisera ici "pierre" dans son sens le plus large, pour désigner à la fois les pierres naturelle (granites, calcaires, marbres) et artificielle (briques, bétons).

 Au premier abord, il s'agit d'une substance chimique solide. Sa composition importe peu pour la suite des événements, puisque les deux modes de marquage qui s'offrent à nous ne reposent pas sur de la chimie :
 - au burin, nous pouvons arracher des morceaux au support, modifiant sa forme physique pour y inscrire des caractères ou des dessins.
 - au pinceau, nous pouvons appliquer une couche d'un produit chimique qui adhérera suffisament au support pour se laisser le temps d'évaporer son solvant.
 Dernière possibilité, nous pouvons utiliser une craie pour marquer la pierre. C'est quasi de l'inceste.

 Le mur naturel passe, merci Lascaux, pour l'un des premiers moyens d'expression employés. Cependant il perdit de son aura lorsque, révolution agricole aidant, les habitants du croissant fertile cherchèrent un moyen simple de garder le compte de leurs troupeaux et de noter leurs transactions. Au lieu de rechercher un moyen de transporter des murs de pierre sur de longues distances, ils changèrent complètement de technologie. (Quelques passéistes en furent sûrement peinés.)
 Le mur artificiel, croit-on, demeura un espace d'expression tout au long des âges pour en rester un aujourd'hui encore.

Cet événement marqua le début de l'opération "Grottes propres en vallée de Dordogne".


L'argile

 Au commencement était le caillou. Puis le caillou se prit une bonne quantité d'eau et de dioxyde de carbone sur la tête, ce qui contribua à son érosion. La poussière résultante se mêla à l'eau et forma une boue.  Éventuellement, la terre dévora la boue et la refit caillou, pour mieux recommencer le cycle.

 L'argile est principalement issue de minéraux appelés silicates d'aluminium. Elle a également d'autres ancêtres dans son arbre généalogique, qui lui ajoutent des minéraux comme le calcaire et même quelques métaux. Pour faire court, c'est compliqué : ses différents atomes se répartissent en couches à la géométrie à la fois parfaite et bancale comme savent faire... Ben, les assemblages de minéraux. Entre différentes couches moléculaires d'argile, il y a un espace qui peut recevoir des espèces chimiques hydratées, et qui, selon le type d'argile, peut ne demander que ça !

 Je brûle de vous donner plus de détails, mais il faudrait que j'entre dans des considérations de cristallo et d'atomistique, bref, que je vous fasse un beau billet sur les cristaux et sur le tableau périodique. Désolée. Ce billet est un peu improvisé pour pallier à mon week-end chargé, aussi.

 L'eau donne à la poudre d'argile, dans les bonnes proportions, une texture ferme mais malléable. Ce qui permet la méthode de marquage reine de l'époque cunéiforme : le planter de bâton. L'argile a aussi la propriété de pouvoir être remodelé au besoin, ou au contraire être laissé à sécher ou cuit pour conserver ses données indéfiniment. (Une petite révolution par rapport au mur de pierre.) Toutefois, la matière elle-même contraint l'écriture utilisable : impossible d'y rédiger quoi que ce soit en bon français. Elle devait donc naturellement laisser la place à d'autre technologies.

"Non." "T'as quoi alors ?" "Des clous." "Hein ?" "C'est écrit là. Clou clou clou clou clou clou."


Le papyrus

 Les égyptiens eurent l'idée brillante d'aplatir la tige du papyrus pour en tirer des lanières, qu'ils tressaient entre elles jusqu'à obtenir une surface à même de recevoir l'écriture. Mais la plante est vernaculaire, alors ils n'ont aucun mérite. On peut toutefois noter que c'est une technologie plus avancée que "ramasser de la terre et écrire dedans".

 Le mode d'inscription est l'application d'encre sur le support et toute marque est définitive, ce qui en fait l'exact contraire de l'argile et un précurseur du papier. Mais, la plante étant vernaculaire, la technologie a été un peu dépassée.

 (Je lis au détour d'une page de Wikipédia que la technologie du papyrus a été remplacée par celle du parchemin dans certaines régions parce que les égyptiens ont cessé les importations. Comme quoi, quand on fait de la rétention !)

Au moins, j'aurai essayé.


La cire

 La tradition la veut recueillie et mâchée par les abeilles pour une qualité optimale.

 La cire (les cires en vérité) est composée essentiellement de chaînes carbonées diverses avec des longueurs dans les 30-40 carbones. Ses propriétés la rendent comparable à l'argile, mais sans le défaut de sécher et sans la qualité de pouvoir conserver ses données à long terme via cuisson. Et, en réalité, elles n'ont rien à voir : la cire est cireuse parce que ses molécules ne se tiennent les unes aux autres que par de faibles liaisons hydrophobes, alors que l'argile est argileuse parce que son hydrophilie a attiré de l'eau dans les profondeurs de sa structure moléculaire et a filé quelques propriétés de fluide à sa structure minérale.

 Ce qui fait qu'à la chaleur, l'argile durcit (l'eau s'évapore) tandis que la cire fond (un peu d'énergie et les molécules échappent aux liaisons faibles de leurs voisines).

 On sait que la cire fut utilisée à Rome à peu près de la même manière que les tableaux d'ardoise ou à feutre de nos enfants : comme support effaçable pour l'apprentissage (c'est-y pas mignon). J'ai lu dans le Satiricon le narrateur recevoir une lettre sur tablette de cire et, pingre ou prudent je ne sais plus, l'effacer pour pouvoir répondre sur la même tablette (c'est-y pas mignon).

Je suis tellement à la bourre que je recycle des morceaux de mes schémas inutiles. 


La peau

 Elle aurait sans doute dû intervenir un peu avant, dans l'ordre chronologique. Soit elle est vivante, soit elle est morte. Sous-catégorie de Schrödinger, tout ça.

 Pensons au vélin, peau de veau mort-né, recherchée parce que très, très fine ; ou au parchemin, peau de chèvre ou de mouton. Dans les deux cas, le mode d'inscription est le dépôt d'encre.

 Plus intéressante, la peau humaine encore sur l'humain. On assiste ainsi à un mode d'inscription particulièrement barbare : l'introduction de pigment sous les couches supérieures de la peau, à peu près à la frontière entre l'épiderme et le derme. Niveau santé, c'est, euh, moyen.

Double standard !



Le papier

Extraire des arbres la fibre cellulosique - qui participe, avec la lignine, au maintien de sa cohésion - : check.
L'entremêler de façon empirique de façon à obtenir un aplat régulier, prêt à boire l'encre qu'on voudrait y déposer ou à accrocher le carbone qui s'y frotterait : check.
Varier son épaisseur, sa taille, sa qualité, de façon à répondre à toutes les spécifications un peu tordues que les utilisateurs voudraient voir satisfaites - selon le type d'encre, de crayon, la pérennité désirée - : check.
Mettre cette technologie fabuleuse au service de...

...


Et le reste ?

Je me suis permis de faire sauter les autres modes qui soit ne sont pas revenus à ma mémoire, soit m'ont paru un peu trop cons à signaler. Le bois, par exemple. On peut écrire sur du bois, mais il n'est ni pérenne comme la pierre, ni pratique comme le papier, alors à quoi bon.
Je ne parlerai pas de microfilm ou de silicium parce que c'est un peu trop technique pour moi et cet article a cinq jours de retard.
Mais c'est fou quand même, qu'en cherchant bien on trouve toujours le moyen de mettre le sens de la vue au service du déchiffrage de symboles artificiels chargés de propager de l'information. Ou c'est moi qui m'excite pour rien ? Bah.

Bien à vous et à bientôt pour un nouvel article,

@now@n.

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